La littérature DDP se présente sous des aspects tellement divers quil semble difficile de la définir en un mot. Il sagit en effet dune somme de textes de formes multiples et dusages différents, et peut-être faudrait-il laborder avec plusieurs types de classement.
Les deux caractères les plus apparents sont dune part lexplosivité des méthodes textuelles, dautre part une concentration permanente du projet sur quelques points précis : l'esthétique communautaire, l'exploitation des codes, l'intérêt d'une lecture productive...
Lexplosivité est incontestable lorsquon regarde les textes des débuts, faits de fragments pris à la socialité et de multiplication des points de vue analytiques. Si lattaque est directement menée contre une personne, une institution publique ou privée, une forme daliénation commerciale, politique ou esthétique, cest à partir de parcelles découpées dans leur production : choix dun mot, dune formule, dune idée, quand ce nest pas choix plus ponctuel dune faute orthographique ou dun lapsus. Précision, donc, à lendroit où est portée lestocade, mais pas toujours assortie dune précision sur lemprunt des discours qui permettent cette position : linguistique, sociologie, économie politique, psychanalyse, philosophie...
Évidemment lépoque 1970-1975 assurait les arrières dune telle entreprise, les sciences humaines fournissant des plans danalyse reconnus par la communauté. On devait par conséquent recevoir les interventions de DDP, celles qui sont réunies pour une grande part dans Social écriture (1972) et à lire (1973), comme issues dun groupe scientifiquement informé et utilisant cette force informée pour casser les apparences des continus idéologiques qui correspondaient alors au consensuel de la droite dominante. De la même façon, le succès de ces deux livres (leur vente complète dans les librairies du 6e arrondissement et notamment à La Joie de Lire, chez Maspéro) confirme quils étaient alors lisibles par des gens avides de comprendre les mécanismes médiatiques et les machinations de la propagande capitaliste.
Sil nest pas certain que de telles interventions restent aujourdhui compréhensibles, ni quelles soient encore possibles en raison dun processus de minimisation des conflits de classe dû à la montée des couches socialistes aux affaires , on peut tout de même reconnaître le projet irruptif de telles manipulations de textes et dimages, et considérer que la littérature DDP y a trouvé un plein emploi de sa charge agressive ainsi que l'établissement d'un droit de regard sur des objets jusque-là acceptés comme entiers : le réalisme de la photo, la vérité du discours politique, le dispositif cohérent dune affiche ou dune réclame, lintégrité dun livre ou dun tableau, la logique de lhistoire de lart, etc.
Lintervention se loge dans le format de la page 21x29,7 (1970 est précisément la date de labandon européen du format plus court 21x26,4). Il y a une mise en page du "choc" que doit recevoir la personne ou lorganisme visés. Il faut une page ou plusieurs pour développer les coups portés. Loriginal reste le plus souvent dans les archives (ce qui explique que les livres aient pu être réalisés), une photocopie est envoyée. DDP se livre ainsi à une opération plastique, en inscrivant la démarche signifiante dans un cadre préétabli, comme cela se passe dans le format dun tableau. À partir de 1974-1975, DDP franchira le pas et peindra sur la toile de tels décryptages, en additionnant des fragments de documents et des lettres pour les titres et les sous-titres. En même temps, lédition des livres fourre-tout va samenuiser, la formule de Social écriture et de à lire étant reprise à un moindre degré dans Peinture cinéma en 1976 et Art pas poli politique en 1979.
Un autre mode dédition, et par conséquent de littérature, se construit à côté du grand format 21x29,7 fait de fac-similés photocopiés ou tirés en offset. Il sagit de petits formats, le plus souvent tirés du grand format plié en deux et agrafé, et dun nombre de pages plus restreint. Le principe en a été en partie fixé par la toute première publication, Van Gogh, Paris, décembre 1971.
Sans doute mieux adapté au côté rapide dune intervention, le Van Gogh inaugure la série des petits opuscules introduits au plus près des événements : Iran, lettres et nouvelles interdites en 1977, en co-production avec lOrganisation de la Jeunesse et des Étudiants Démocrates Iraniens et pour la Fête de lHumanité ; Écritures des images en 1978, édité par le CDAC de Belfort et pour une rétrospective DDP ; Pédagogique en peinture en 1979, à loccasion du premier Salon La Lettre et le Signe ; Les Causes actes du don en 1980, pour une exposition DDP à la galerie Artériel dans le 18e arrondissement de Paris ; Réalisme ou pas ? la même année, édité par le Centre Jacques-Prévert des Ulis à loccasion dune exposition de groupe ; Qui est mécène en 1982, reproduisant un débat tenu au moment d'une exposition DDP au forum des halles ; Contribution à la critique de lesthétique politique, pour le Salon de la Jeune Peinture 1983...
Ces opuscules, sils correspondent au même propos de sortir vite des textes de référence, nont cependant pas le même contenu éditorial. Leur littérature peut provenir uniquement de DDP ou bien du groupe mêlé à dautres acteurs. Le cas le plus extérieur est celui de Iran, DDP ny intervenant que pour la préface et les illustrations, et prêtant surtout son système de mise en page (format plié et agrafé) et son sigle déditeur (alors Association de Recherche et Diffusion Culturelle). Dautres livrets sont composés à partir des apports de chaque membre du groupe occasionnel : paroles de Évelyne Artaud, Pierre Châtelain, F. Derivery, M. Dupré, R. Perrot, Sir L pour Qui est mécène ; reproductions duvres et commentaires de Jean-Jacques Bailly, François Bricq, Pierre Châtelain, DDP, James Durand, Raul Ferreira-Rocha, Gontran Netto, Hans Riedl, Yannis Santantonio pour Réalisme ou pas ? De telles réalisations dépendent du rayonnement de DDP dans les groupes et associations dartistes, et le principal de ces regroupements se fait avec les membres du Salon de la Jeune Peinture.
On peut adjoindre à cette série des petits opuscules circonstanciels dautres qui répondent moins à lurgence. Dépeint-dur décrit-tics, de 1978, reprend les articles de critique dart parus dans le périodique Les Cahiers de la Peinture, la republication sexpliquant par le fait que le directeur Mondher Ben Milad avait mis dehors les trois auteurs sans doute trop politisés à son goût. Arts & PCF, de 1976, a été fait sur la lancée dun accord tacite avec deux membres du Collectif Antifasciste, Frédéric Brandon et Daniel Riberzani : interroger les positions esthétiques du PCF. Seul F. Brandon répondra un peu à la demande (le reste de la textualité DDP prenant un tour particulier sur lequel on reviendra). De même, Éléments de fiction paru en 1980 regroupe plusieurs auteurs de nouvelles de science-fiction ou de fantastique invités par R. Perrot. Contribution à la critique de lesthétique politique réunit trois textes des DDP et un texte de Hans Riedl, ami du groupe et membre du Salon de la JP. Les causes actes du don comprennent, à côté dune réflexion du groupe sur la notion de don, deux textes de Pierre Vermeersch et de Francis Parent à propos de la peinture DDP. On pourrait adjoindre à ce type de collecte textuelle la publication en grand format de Plasticiens discussions théorie, de 1980, parce quelle récapitule les conférences au moment du festival de la Figuration Critique au théâtre du Ranelagh prononcées par Jean-Jacques Bailly, Pierre Bouvier, François Bricq, Pierre Châtelain, Joël Ducorroy, Sir L.
Lune des tendances du comportement groupal de DDP est affirmée dans cette recherche de la parole des autres, artistes ou critiques, allant jusquà sa publication. La restitution davis différents sur lart et à propos desthétique est donc attachée à la présence de DDP dans des regroupement plus vastes : Salon de la Jeune Peinture, Collectif Antifasciste, Salon de la Figuration Critique, expositions de peintres figuratifs et réalistes... En même temps, DDP y déplace son intérêt pour la fabrication hachée de la signification : les catalogues adoptent, à partir de 1975 pour la Jeune Peinture et de 1979 pour Figuration Critique, le principe de la page 21x29,7 utilisée comme une surface dexpression dun artiste ou dun groupe dartistes.
Un certain degré de parallélisme existe donc entre la situation physique des artistes se réunissant pour des expositions, leur mise en commun de la parole à certaines occasions comme les débats et les publications qui les suivent, et la vie collective qui sest organisée entre les trois membres du groupe DDP. Le projet interventionniste de DDP sest développé de la discussion interne (1962-1971) à la publication des textes (Van Gogh, décembre 1971), à lexposition collective des travaux (section PCF du 18e fin 1974, centre culturel de Bezons en 1975), aboutissant à la fabrication de tableaux à trois ensemble sur une même surface (A-fric, 1976). Mais ce projet a aussi touché la matière textuelle, et est née une forme décriture en commun qui permet de comprendre que le terme de littérature DDP nest pas dénué de sens.
La première forme de cette littérature collective est venue de circonstances demandant une réponse des plus rapides. En février 1972, un feuillet écrit ensemble à propos de lexposition Peintres de lImaginaire, et adressé au conservateur Reynold-Arnould, est collé sur une page du livre dor au Grand Palais. Manifestation officielle tentant de rétablir, comme le suppose alors DDP, les valeurs de lintimisme, du subjectivisme, du spiritualisme, de lésotérisme ? La protestation est en tout cas dans le droit fil de la démystification commencée par le Van Gogh de décembre 1971. En mars 1972, DDP sadresse à lopposition, chefs de partis et groupes à lAssemblée Nationale, pour les encourager à dire NON à loccasion du référendum sur lEurope. On est ici davantage dans le genre tract que les DDP connaissent bien pour faire du syndicat.
Il faut attendre 1975 pour retrouver un même exercice décriture collective, avec Formes manifestes du procès de fascisation actuelle rédigé pour le catalogue de la Jeune Peinture, et Association de recherche et diffusion culturelles pour le bulletin n° 1 édité par ce même Salon. Si ces deux textes se présentent comme distincts, visant un objet différent le premier déclinant les effets du capitalisme sur les consciences (économie de guerre, parcellisation du travail, définition bureaucratique de la liberté individuelle, multiplications des limites, non maîtrise des vues densemble, etc.), le second décrivant les principes de fonctionnement du groupe lui-même , ils apparaissent comme deux moments fondamentaux dans la littérature DDP. En effet, lalignement et le classement des données danalyse engagent à ce moment-là la pertinence réflexive du groupe et énoncent sa philosophie, son éthique esthétique mêlée à son choix politique.
Deux paragraphes du second texte sont on ne peut plus éclairants. Principes : importance du travail idéologique dans la lutte de classe ; urgence du discours critique et des pratiques subversives ; nécessité de déconstruire les catégories socio-culturelles ; dialectique texte/image ; surdéterminations économiques à mettre en évidence ; travail des contradictions inscrites dans les produits sociaux ; tout objet social comme texte historique ; recherche des discours répressifs à luvre dans les objets de communication ; dénonciation de lesthétique comme instrument de pouvoir ; analyse des codes et des configurations signifiantes ; retournement, manipulation, restitution des processus de codage ; disponibilité des travaux scientifiques portant sur la matière sociale: psychanalyse, économie, linguistique, sémiotique ; intégration des effets des pratiques aux pratiques elles-mêmes ; travail non clos, production dialectique de significations.
Pratiques : correspondances ; textes théoriques ; films ; peintures ; travaux à partir des produits culturels divers: journal, livre, photo, image... ; découpage, redistribution, montage ; dynamique des démarches, complémentarité des pratiques ; lutte politique: lieux de travail, institutions, rues... ; travail dédition. On peut dire aujourdhui que le groupe sest tenu à ce programme, la réalisé et vient encore sy référer quand arrive un manquement dû à la pression des circonstances ou aux tensions entre les trois acteurs. Il sagit bien dun Manifeste. Travail des contradictions, travail non clos, travail dédition..., ces objectifs expliquent en grande partie la continuité du groupe de 1971 à 1998, puisquils déposent (sous forme de peintures et de publications) à lextérieur mais aussi dans le collectif même des produits marqués par le contradictoire et le non-clos, relançant indéfiniment le procès de lecture et la vérification des méthodes de lecture disponibles (travaux scientifiques).
Sont cependant imprévus, et pour cause, des modes de production textuelle qui vont occuper DDP dans les années suivantes. Dune part, une écriture à trois de longs textes érudits portant par deux fois sur Van Gogh, puis sur Picasso, sur le réalisme, sur l'art contemporain, sur la notion du don, sur lenseignement artistique, sur le marché... Dautre part, une entrée en scène de lécriture fictionnelle, sous laspect de nouvelles, même si la littérature est dans ce cas plus pulsionnelle et subjective, c'est-à-dire impartie aux individus et pas totalement au groupe.
Ces nouvelles formes font passer dun premier aspect fragmenté et choquant à une manière plus respectueuse du développement académique de la pensée ou du déroulement de lénigme dans le cas de la fiction. La littérature proprement analytique de DDP semble atteindre un sommet en 1980. Or, si lon cherche à établir un parallélisme entre lécriture et la peinture du groupe, 1980 est aussi la grande période des uvres collectives, soit avec des toiles peintes à trois Espagne (1978), Europe (1979), Tri-Théorie (1980), Groupe de travail (1981) , soit avec des travaux sur thème Portrait dAlthusser (1978), ça vaut net (1979), La Vie en Rose (1980), Portrait de Barthes (1980), Les Présidentielles, Portraits de Trois Philosophes (1981). Évidemment, ces titres ne rendent pas compte des procédés picturaux mis en jeu dans la peinture de ce moment crucial : fragmentations et montages manipulés selon des solutions diverses et efficaces, tandis que samorce à partir de 1981 lessai dune peinture continue, au montage inclus et sans fragmentation trop apparente (Groupe de travail, Les Présidentielles, Les Trois Philosophes).
Le mythe Van Gogh, devenu pour DDP un objet social Van Gogh, va agir souterrainement depuis la petite brochure éditée en décembre 1971. Non seulement cette brochure est la première de la longue suite des publications DDP, mais elle contient les prémices de lécriture collective : les articles écrits individuellement ont été mis bout à bout en chapitres anonymes. Cette opération, difficile en milieu artistique où règnent le narcissisme et la préséance, on la retrouve à lorigine de bien des textes suivants : un premier jet est ensuite nourri des corrections et des développements apportés par les trois DDP, la circulation du texte pouvant être longue et de plus en plus précisionniste du point de vue de la langue comme du point de vue de la logique. Cest ainsi quune intervention à lUER desthétique dAmiens, en 1977, procure un fonds dobservation sur la réception des tableaux de Van Gogh, qui va devenir le thème dune intervention du groupe au Centre dÉtudes et de Recherches Marxistes en janvier 1978 ; suivie dune publication en 1979 dans le Cahier 160 de ce même Centre ; enfin, une reprise de toutes ces données avec prolongements théoriques, dans le livre Chercher lesthétique (1985), sous le titre Travail social des images : Van Gogh et la problématique du réalisme. Dans le même temps, un film (le dernier, en 1978) est réalisé collectivement et en collaboration avec Jean-Jacques Bailly, Peinture, insérant la personnalité de Van Gogh dans la description de lartiste énergumène méprisé par les gens, les marchands ou les institutionnels.
Le même livre Chercher lesthétique contient un chapitre Lire Picasso résultant dune lecture dun des tableaux de cet artiste, Les Femmes dAlger, analyse expérimentée dans le cadre du groupe desthétique PALPE au sein de lInstitut de Recherches Marxistes ex-CERM, et réécrite en compagnie de Jean-Jacques Bailly. Dautre part, un article à propos dune exposition Tendances de lart en France 1968-1978, et déjà publié dans la revue Histoire et Critique des Arts. De même : une lente mise au point collective, à lIRM encore, sur la notion décart dans les rapports entre art et société. Et : une conférence de Michel Dupré, Lire, dé-lire, un niveau verbal de limage: le jeu de mot, prononcée au CHU de Sainte-Anne ; une conférence par le même à luniversité californienne de Santa-Barbara, Lapparition du fer dans larchitecture ; un débat de Raymond Perrot au Centre darts plastiques dAubervilliers, à partir de la question Quest-ce que le réalisme ? ; une intervention du même, à luniversité Paris VIII à Saint-Denis, sur la commande théorique issue de la société en général... Republications qui nous paraissaient nécessaires, parce quelles mettaient en évidence certaines facettes de lherméneutique possible dans le champ de lart.
Avec Travail social des images : Van Gogh etc., on a peut-être un cas limite de la littérature DDP se déployant dans des formes relayées dintervention (débat, film, théorie, édition), et abordant ainsi des plans théoriques nouveaux. Cet aspect non fini de la réflexion et de la production, recherchant une dialectique reconductible entre production et réflexion, correspond certainement au projet, énoncé dans le Manifeste cité plus haut, dune intégration des effets dune pratique aux pratiques elles-mêmes. De même en peinture, on peut toujours voir quau moins une partie du tableau collectif ou individuel est réservée à un retour sur le peint, soit sur linjonction dun mot ou dun calembour, soit par un événement plastique servant dindex.
Un autre retour a pu se faire publiquement à deux niveaux : celui de lenseignement artistique, celui de linitiation à la théorie des signes. Se retrouvant dans des commissions ad hoc syndicales ou politiques, DDP a déposé quelques textes revendicateurs au sein du SNAP (La question de lenseignement artistique dans le secondaire, 1978 ; Les artistes doivent-ils enseigner ?, 1983), du SNES (Art, politique, éducation artistique, Degrès, 1984), ou encore au PCF (commission Arts Plastiques, 1977 ; sous-commission Enseignements Artistiques, 1981). Un chapitre entier du livre Chercher lesthétique est consacré à ces questions. Lautre voie, plus didactique, a suscité quelques textes individuels, par exemple Image, document, peinture de François Derivery ou Les objets esthétiques de Raymond Perrot en 1984, mais le plus souvent a été traitée collectivement dans des études cherchant à produire une connaissance de linscription du sens en poeinture : Écritures des images en 1978, Pédagogique en peinture et Culture, codes, images, peinture en 1979, Faire faire des images : images en 1981. (Cf. annexe I)
Le texte le plus abstrait est sans aucun doute celui qui se rapporte au don, publié dans la brochure Les causes actes du don à loccasion dune exposition DDP à la galerie Artériel en octobre-novembre 1980. Là, les trois signataires mêlent intimement leurs capacités théoricistes et parlent moins de la condition de lartiste que de la contradiction qui peut amener quelquun à se présenter comme créateur dans une société encourageant lirresponsabilité et le non-retour. Brève incursion dans la conscience anthropologique, quand dautres textes insistent plutôt sur le ressort matérialiste (un matérialisme des lectures de lart) face aux normalisations marchande et étatique : ainsi en est-il des introductions écrites en commun pour les deux livres Chercher lesthétique (1985) et Esthétique critique (1994).
La dialectique production-réflexion atteint un niveau exemplaire en 1989, quand le groupe entreprend de décrire la progression d'une toile collective et d'en faire part à un certain nombre de critiques, institutionnels et marchands. Sept fascicules successifs sont ainsi adressés, dans la période de septembre 1989 à février 1991, accumulant les données de départ (documents, économie), puis les incidents et les décisions de parcours.Ce remarquable travail d'analyse est devenu un recueil publié en 1992 sous le titre Les Représentants, procès d'une peinture collective. Dans le même temps, une longue série de lettres internes tentait d'éclaircir les ambiguïtés affectives subsistant entre les trois membres du groupe, mode parallèle d'analyse intransigeante qui n'a cependant pas atteint le statut de publication.
Avec les deux livres Chercher l'esthétique et Esthétique critique, nous entrons dans une nouvelle période de la littérature DDP, celle dun projet plus vaste dédition de la pensée propre au groupe sous une forme pouvant accéder aux rayons de la librairie traditionnelle. Significatif est aussi le recours au terme desthétique, alors que lesthétique idéaliste a été combattue dans un premier temps avec le rejet inconditionnel des écritures à la Malraux et la préférence pour des analyses sémiotiques aiguës et engagées. Lintroduction au second livre DDP de 1994, avec son titre Peinture, esthétique et crise de la représentativité, met laccent sur la contradiction entre lidentité éthique et républicaine qui est revendiquée dans la plupart des uvres des artistes français et le silence et la démission qui sont éxigés deux en haut lieu. Avec des phrases de ce genre, qui replacent lart de DDP quon a voulu trop souvent voir comme un nouveau réalisme socialiste dans sa situation concrète dart critique : Le PCF refuse encore de reconnaître, probablement par seul dogmatisme, la collusion qui, dans la culture, lie désormais étroitement les moyens et les structures de lÉtat aux intérêts marchands et privés.
Les rapports DDP/PCF pourraient être une autre entrée pour suivre le développement continu de cette littérature. Arts & PCF contient un long article préliminaire sur lÉtat actuel du discours sur les arts plastiques dans les publications du PCF, écrit par François Derivery et Raymond Perrot durant lété 1976. Cependant, cette mise en uvre de la capacité analytique de DDP à légard de la politique culturelle du parti prendra longtemps laspect de correspondances adressées aux responsables culturels et aux chroniqueurs, pour leur reprocher de refuser toute discussion avec des intellectuels ne se plaçant pas dans les sillons du marché ou de lesthétique individualiste officielle. DDP signe ainsi collectivement le texte Nous nexigeons pas allégeance (Le parti néglige la force de développement culturel quil détient en propre, en déléguant toujours à des organes extérieurs le pouvoir délaborer de nouvelles propositions...) en juillet 1977, puis la Lettre aux responsables de la presse communiste en mai 1978 (Nous demeurons convaincus de la nécessité du travail et de la réflexion collectives au parti. Nous vous informons de notre disponibilité en ce sens).
Les premiers espoirs dune collaboration réciproque déçus, DDP mettra le matériel PCF, presse et déclarations, dans le même panier que les objets médiatiques régnants, faisant à loccasion une incursion dans cette matérialité pour en démontrer les faiblesses et les faussetés. Raymond Perrot publiera personnellement deux brochures, Situation critique en 1982 et Le Réalisme confisqué en 1989, qui insisteront sur la distance entre les intentions proclamée par les instances du Parti et ses pratiques effectives.
La question du réalisme (larticle de Raymond Perrot le 13 octobre 1988 dans LHumanité et la réponse de Lucien Marest le 20 octobre), mais sans doute aussi la persistance du groupe à élaborer une esthétique communautaire indépendante de la pression marchande et droitière notamment la constance à publier le fruit de ses réflexions (et la persistance non moins remarquable du PCF à faire silence sur les travaux desthétique au CERM puis à lIRM) , révéleront petit à petit les positions inconciliables des deux camps.
Cest dans les revues, Manifeste puis Esthétique Cahiers et à présent Intervention, quil faut aller rechercher les marques dune lutte argumentée contre la déviation artistique dun PCF de plus en plus convaincu des bienfaits de linstitution. De 1987 à 1997 (35 numéros), Esthétique Cahiers a pu reprendre heureusement certaines des caractéristiques des premières interventions : fragmentation des documents et leurs commentaires, disposition signifiante des éléments dans le cadre de la page, adresse à la personne ou à lorganisme concernés...
De même, dautres revues accueillent des articles se rapportant aux domaines connexes de la défense de lattitude réaliste. François Derivery présente ainsi dans Ligeia une étude sur lacadémisme du XIXe siècle, avec À propos de lart pompier en 1992 et Lady Godiva, le regard enfermé en 1993. Raymond Perrot prononce une attaque en règle des formes convenues de lart officiel actuel dans la même revue, avec Des académismes contemporains en 1992 ; il persiste dans lillustration du réalisme socialiste avec son livre Esthétique de Fougeron en 1996 ou deux articles de 1997, Peut-on être réaliste socialiste aujourdhui ? publié dans La Revue Commune et La neutralité de lart est un songe creux dans Muséart.
Les dix années de parution de la revue Esthétique Cahiers feront accéder la littérature du groupe à un point de diversification jusque-là inconnu. Cest dans le frottement à dautres personnalités artistiques et littéraires puisque le gouvernement des revues échappe en partie à DDP que sélaborent des formes discursives plus détachées des contextes politiques. Toujours aussi interventionnistes et violemment pamphlétaires, les écrits accèdent à des domaines étrangers tels que le souvenir denfance, larchéologie, la poésie... Deux numéros de la revue seront entièrement consacrés à lécriture fictionnelle, Nouvelles dartistes en 1991, Nouvelles II en 1993. Ce sont des dizaines de courts récits qui entrent ainsi en compétition avec ceux d'écrivains plus chevronnés. Lexpérience est sans doute satisfaisante puisque chacun republie ensuite quelques-uns de ces récits : Une différence fondamentale de R. Perrot en 1994, VVG 90 réalisme fiction de M. Dupré et Avant-dernier acte de F. Derivery en 1995. On trouve également une nouvelle de chacun dans le livre collectif Esthétique critique (1994) de caractère pourtant plus théorique.
La méthode de travail sur un thème sinstaure à partir du n° 4 dEsthétique Cahiers (voir annexe) ; elle reproduit dans lécrit ce que le groupe connaît dans la peinture, et elle permet à chacun de broder son intervention autour de préoccupations personnelles ou collectives plus étendues. Citons De Habermas à Lyotard, technocratie et postmodernisme, où F. Derivery établit un rapport entre philosophie et art contemporains pour constater le même phénomène deffacement de lhistoire ; Une nouvelle histoire de lart, où R. Perrot préconise une autre écriture fractale pour introduire la réalité dans ce genre qui évite ordinairement de parler des stratégies économico-culturelles ; M. Dupré poursuivant sa quête des fantasmatiques inscrites dans les uvres de Manet, Rodin, Picasso... En 1994, trois textes individuels sappliquent à cerner le concept de chef duvre...
En 1988, un numéro spécial dEsthétique Cahiers est consacré au groupe, avec trois longues études qui posent les bases de la recherche sur luvre DDP historique, plastique, esthétique et dont on peut voir un effet sur les thèses les plus récentes. Cest que DDP sest rarement exprimé sur son propre travail, alors quon trouve chez Raymond Perrot par exemple une quantité darticles de presse sur des artistes de tendances les plus diverses. Comme si le groupe attendait quun historien ou un critique rôle que joua quelquefois Francis Parent en caractérisant la peinture DDP chaque fois quil en avait loccasion dans un catalogue découvre un jour cette peinture et en distingue les qualités.
Cependant François Derivery a plusieurs fois cherché à décrire la phénoménalité de la peinture collective, principalement dans DDP : une pratique multiforme, publié en 1993 à loccasion dune exposition à Frouard : Il y a dès le départ du travail de DDP une décision de mise en retrait, de mise en suspens de la question de lesthétique, de ses formules, rites, codes, dun certain mode de réception... Cela fut lié à la priorité donnée à létude sémiotique et idéologique, et à celle des processus de production des images. Quant au contenu des uvres individuelles, il a été encore moins abordé, sauf dans des moments exceptionnels : mélancolie, perte de tonus, atteintes de la pratique... (Image en souffrance, de Raymond Perrot après lattentat qui a blessé sa fille en 1985 ; Art en crise, de Michel Dupré après la mort de sa femme en 1994). Toutefois, les trois expositions individuelles enchaînées, aux Cahiers de la Peinture en 1991, ont permis une intervention de chacun sur sa pratique, de même que les expositions personnelles de Raymond Perrot au Breuil/Le Creusot en 1991 (catalogue) et de François Derivery à Paris en 1996 (Paysages politiques, catalogue).
La diffusion des revues (Manifeste, Esthétique Cahiers, Intervention) depuis 1985 et des livres (Éditions EC) depuis 1994 a donc organisé différemment lécriture des DDP. Bien que toutes les productions sur papier se soient avérées publiables et ceci grâce à lassimilation esthétique du montage, du fac-similé, de la photocopie, du format thèse... , les conditions dune mise en scène de nos interventions au milieu dautres productions différentes de formes et de signatures, ainsi que le conditionnement étudié pour atteindre un lectorat nombreux, apportent à la littérature DDP un polissage quelle navait certainement pas au départ. De même, le traitement plus étendu de la langue pour atteindre des objets philosophiques, littéraires, historiens entrés dans le champ des nouveaux intérêts, fait que la scientificité des analyses se complète aujourdhui dun savoir placer lirruptif au meilleur endroit, avec la conscience du procès énigmatique de toute écriture.